
Cent ans après sa mort, Félix Arnaudin éclipse encore par son œuvre colossale quiconque entreprend un travail artistique ou scientifique sur les Landes de Gascogne.
Toutefois, il ne faut pas oublier que derrière beaucoup de ses créations se dissimule une succession de mises en scène sauvegardant une vision des Landes qu’il voulait éternelle mais qui était déjà en train de disparaître. De fait, lui qui effaçait les pins de ses photographies a ignoré – ou presque – l’industrie inhérente à leur exploitation. Cette industrie, nos anciens et nos parents, eux, l’ont vécue. Nous, nous en observons l’âpre déclin.
Si contrairement à Arnaudin nous chérissons cette forêt devenue aujourd’hui constituante de notre identité, comme lui nous assistons impuissants au bouleversement de notre société. Alors comme lui, nous avons parcouru cet espace avec nos appareils et nos carnets. Comme lui, nous avons voulu en dresser un instantané contemporain, ancré dans notre réalité.
La révolution industrielle
Dans les Landes, au cours des années 1800, la plantation de pins bouleverse un territoire encore ancré dans l’économie traditionnelle agro-pastorale.
À coup de rail et de vapeur, la modernité s’impose rapidement tout en véhiculant une Légende Noire imaginée pour assoir sa légitimité : les Landes sont un pays de marais insalubres et porteurs de maladies ; on y meurt du paludisme et seuls quelques parias, bergers échassiers et cagots, parviennent à y survivre. Il faut donc investir et rentabiliser ces espaces inutiles.
S’impose ainsi un nouveau modèle économique : l’industrie du bois. Celle dont Félix Arnaudin ne voulait pas. À tel point qu’il effaçait de ses photographies la présence des pins.
Je ne veux pas cacher cette forêt. Je la trouve belle.
Aujourd’hui, la sylviculture est toujours présente mais elle décline à grands pas. Les usines de bois en proie à une mondialisation inéquitable se font dépecer par des multinationales peu scrupuleuses. L’industrie se meurt et avec elle les emplois. Les gens fuient alors vers les villes, laissant les Landes telles qu’elles étaient il y a 200 ans : de l’eau, du sable et du vide.
Seul stigmate de cette révolution, le pin.
Cette écorce rousse les soirs de soleil rasant, cette odeur caractéristique de mon enfance…
Je ne m’en déferai jamais.
M. L.


Le grand désenchantement
Presqu’aucune chanson, aucune légende, aucun conte populaire des Landes de Gascogne n’évoque la vaste pinède napoléonienne.
Avec la plantation du pin a plutôt germé une littérature de sciences sociales et de traités agronomiques. Une littérature très majoritairement exogène. Las. Pas de phénomène de récupération indigène. Pas de recomposition, pas de syncrétisme.
La lande s’exprimait dans les veillées traditionnelles, le pin s’est fait entendre à travers les luttes sociales et l’aliénation culturelle.
Il nous laisse aujourd’hui un pays brut, désenchanté.
Ne cherchez pas ici les brumes lyriques des landes arnaudines ; ouvrez les yeux : elles se sont évaporées depuis longtemps et ne traduisent plus notre réalité.
Place au monde des immensités sylvestres. Lumière sur son crépuscule.
Bienvenue dans les Landes postmodernes.
B. C.